Ça fait déjà 10 heures que je mets en pratique tous les précieux trucs acquis il y a un mois auprès d’Hélène Dumais. Dont celui de ne pas utiliser les dragonnes de mes nouveaux bâtons en carbone, histoire de pouvoir lâcher prise rapidement si l’un des deux restent pris quelque part. Finalement, dragonne ou pas, ça peut briser pareil, un bâton en carbone. Et juste au moment où j’en aurai le plus besoin, c’est-à-dire avant de monter le mont Sainte-Anne avec déjà 73 km et 3000 mètres de dénivelé dans les pattes. Houston, we’ve got a problem!

Le départ des tout nouveaux 70K et 100K du Québec Méga Trail avait été donné à 5 h 15 sur le quai de Petite-Rivière-Saint-François, alors qu’une grosse boule rouge feu se levait sur le fleuve.

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Le soleil se lève juste avant le départ.

Au programme pour tous: la longue montée du Massif, le mythique sentier des Caps avec vue sur le Saint-Laurent, puis le technique Mestachibo sur le bord de la rivière Sainte-Ânne (avec un accent circonflexe sur le A) jusqu’au mont Sainte-Anne (MSA). Puis, pour ceux qui voulaient souffrir plus longtemps (lire ici: la centaine de coureurs du 100K, dont je faisais partie): une boucle d’environ 25 kilomètres de haut en bas du MSA. Une belle petite promenade de santé en perspective, avec 4000 mètres de dénivelé et 22 heures pour y arriver.

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Le parcours.
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Le dénivelé et l’emplacement des différents ravitaillements.

Objectif: être raisonnable

Dès le départ, je m’étais dit que je prendrais ça mollo, l’objectif étant de me garder des jambes pour la montée du MSA. Pas question de refaire les mêmes erreurs que lors du 50K de Bear Mountain!

Mes 160 kilomètres courus avec Hélène Dumais lors de sa conquête de l’Infinitus 888K, un mois plus tôt, ont été fort payants. Je me suis souvent répété son mantra, « slow is smooth, smooth is fast ». Sur de très longues distances, à moins de faire partie de l’élite, inutile de courir dans les montées, même si ce sont juste de vulgaires faux-plats. Relaxe! Soit raisonnable!

La montée du Massif et ses 800 mètres de dénivelé s’est très bien déroulée, même si j’avais hâte qu’il y ait moins de coureurs dans les environs. Des inconnus qui respirent comme s’ils étaient en zone 5 pendant un ultra, d’autres qui sprintent en fou avant de ralentir subitement, ça n’aide pas à entrer dans sa bulle…

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La montée du Massif, en partie par la piste de luge, avec le fleuve en toile de fond.

On m’attend au prochain ravito

Ravito 1, au km 13. Il ne reste plus de Coke… Faudra attendre au prochain pour le boost d’énergie!

Je jette un coup d’œil à mon cell. Tous les coureurs devaient télécharger l’application Ondago, qui nous permettaient de savoir exactement où l’on se situait sur le parcours. En activant une fonction de géolocalisation, nos proches pouvaient aussi nous suivre à distance. Le hic, c’est que ça bouffait beaucoup trop de batterie… Pas le choix de désactiver l’application.

Ma gang n’était pas sur place, à part ma sœur Nadia et mon beau-frère Thomas qui souhaitaient me voir au ravito 6, avant la montée du MSA. Plusieurs autres voulaient de mes nouvelles.

Savoir que ses proches sont présents, physiquement ou seulement en pensées, ça n’a pas de prix quand on court de telles distances. C’est souvent ce qui fait la différence entre la réussite et l’abandon.

En quittant chaque ravito, j’ai donc pris l’habitude de texter Jess, qui me répondait illico en m’encourageant tout en refilant les dernières infos au reste de ma gang. J’avais un crew de feu, à distance. Même virtuellement, quelqu’un m’attendait au prochain ravito.

Pas d’eau pendant 5 kilos

En route vers le ravito 2, au début du sentier des Caps, Stéphanie Jeker me rattrape. On avait déjà couru quelques fois ensemble avec le club de trail. Je décide d’accélérer un peu pour la suivre. On jase d’un paquet de trucs. C’est cool. Parfois, elle prend un peu d’avance, puis je la rattrape. Ou l’inverse.

Ça a été comme ça jusqu’au ravito 4, au 50e km. À partir de là, je n’ai plus été capable de la suivre. Le fameux mantra « slow is smooth, smooth is fast » s’était finalement imposé de lui-même un peu avant, après un très long passage à vide.

Je n’avais pas bu assez au ravito 2, au 26e km. Résultat: j’avais complètement vidé mes deux bouteilles de 500 mL à partir du 35e. Il m’en restait 5 à faire avant le ravito 3. Ce n’était pas la canicule vécue ailleurs au Québec, mais il faisait quand même passablement chaud. Et qui dit pas d’eau dit « j’arrête de manger des gels, sinon mon estomac ne m’aimera pas ».

Quand je suis finalement arrivé au ravito 3, j’ai calé 1 litre d’eau d’un coup. Ça m’a ensuite pris un ou deux kilomètres de marche avant que mon estomac me donne le go pour recommencer à courir et à manger un peu. Rendu là, je me suis dit que je ferais le reste de la course à mon rythme, en respectant mon corps et avec l’objectif de pouvoir recourir quelques jours plus tard.

En mode solution

C’est entre le ravito 4 et 5 que ça s’est passablement compliqué. Sentier Mestachibo, le long de la rivière Sainte-Anne (pardon, Sainte-Âââânne). Très technique. Presque impossible à courir. De nombreuses roches mouillées à enjamber.

J’ai toujours mes pôles en main, pour m’aider à ne pas perdre l’équilibre. Mon bâton s’insère entre deux roches. Au même moment, mon pied glisse. Clac! Bâton cassé d’un coup. Eh merde! Vive le carbone… Je venais juste de les acheter en plus!

Si je n’avais pas eu d’autres expériences d’ultras auparavant, je me serais probablement découragé. Mais non. Le mode solution a embarqué en trois secondes et quart, peut-être moins. Le prochain ravito approchait, mais il était au milieu de nulle part. Sûrement qu’ils ont un stylo et du ruban médical, que je me suis dit. Essayons de le réparer à la bonne franquette. Sinon, l’option B sera de trouver du duck tape au ravito suivant.

Finalement, malgré tout les efforts des incroyables bénévoles du ravito Mestachibo, l’option A n’a pas fonctionné. Pas grave! Let’s go vers le prochain ravito!

Mais avant ça, quelques kilomètres d’asphalte dans un quartier résidentiel. Les gens nous encouragent sur le bord de la rue, certains ont leur boyau pour nous asperger. C’est fou comme ambiance! Soudain, je vois un monsieur d’une soixantaine d’années. Le genre à avoir du duck tape pas loin. Je tente ma chance. Il a du ruban! On essaie en vitesse. Ça ne fonctionne pas. « Attends, j’ai un bâton dont je ne me sers pas. Je te le donne! » qu’il me dit.

Wow! C’est quoi les possibilités que ça arrive? Je n’en reviens juste pas! Et le monsieur est tout aussi content que moi, au point où son voisin d’en face est venu nous prendre tous les deux en photo, avec le fameux bâton.

À partir de là, j’étais en feu. J’avais toujours su que j’allais y arriver, mais ce bâton magique allait me faciliter la tâche.

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En arrivant au km 73, ravito 6, juste avant la fameuse montée du MSA.

Ravito 6, au km 73. Ma soeur et mon beau-frère sont là. C’est le fun de voir des visages connus! Depuis un kilomètre, j’ai une petite sensibilité à un genou. La physio sur place me fait un taping, au cas où. Je mange un peu et je repars avec mes deux bâtons dépareillés et un verre de Coke à la main. Direction le sommet du MSA, soit une montée de 600 mètres de dénivelé qui s’apparente à la partie la plus à pic de la Grande Coulée, à Orford. Ça donne une idée. La joie!

Lentement, mais sûrement, j’ai progressé jusqu’au sommet de la Crête, avant de redescendre de l’autre côté, en courant le plus possible pour éviter de me faire bouffer par les mouches.

J’ai finalement bouclé le parcours de 100K en 17 h 01, au 47e rang. J’ai terminé les neuf derniers kilomètres en courant la majeure partie du temps, sans aucune douleur ni crampes. Du début à la fin, j’ai aussi réussi à maîtriser mon estomac. Cette fois, zéro vomi!

L’expérience, visiblement, commence à payer. Et je ne m’en plaindrai certainement pas!

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